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En résidence avec Craze

Rencontre & reportage

En résidence Musique Photographie Publié le 09/04/2024

Avec ses nouveaux espaces adaptés à la création et la répétition, l'Antipode s’affirme comme un outil au service des projets artistiques dans son territoire local, régional et national. Dans l'Atelier de Création, les Studios, Le Club ou La Grande Scène, l'Antipode est aux côtés de musiciens et de musiciennes pour échanger et accompagner les processus de création, de recherches et de répétitions de ces temps de travail dédiés au cours de la saison.

L'Atelier de Création est parfois mis à disposition des organisations externes pour bénéficier des conditions de travail optimales de cet espace. C'est dans ce cadre que l'Antipode et l'association Route 164 ont permis à Craze de travailler dans l'Atelier de Création pour une semaine de résidence. Entre les calages et les répétitions, cet article, illustré par les photos de Lisa Frankhauser, propose une rencontre avec l'artiste.



 

Craze, une création seul en scène à la croisée des musiques traditionnelles, actuelles et expérimentales.


Un sonneur avec un biniou, central. Une musique, répétitive, brute, minimale. Un corps, qui ne fait qu’un avec l’instrument, au coeur du public, dans un format court en continu. C’est l'expérience que propose Craze, aka Tangui Le Cras, un pari que fait le musicien d’embarquer les spectateur·ices avec lui dans une transe singulière, de l’ordre du rituel, à l’aide de cet instrument populaire, impopulaire, déportant sa pratique des musiques traditionnelles à une musique plus expérimentale.  La mise en relation d’un instrument puissant  à l’intime de l’interprétation, pour une expérience brute entre musique contemporaine, expérimentale, et transe soufi.

À quelques jours de son passage en première partie de Lankum dans La Grande Scène, Tangui Le Cras a retrouvé son équipe pendant quatre jours dans l'Atelier de Création en février 2024, pour répéter son live en condition réelle et travailler le son. À l'issue de cette résidence intense, nous vous proposons une rencontre avec l'artiste !


 

Rencontre & interview avec Tangui Le Cras

 

Bonjour Tangui, peux-tu nous parler de ton projet Craze ?

Craze c’est un solo de biniou, qu’on pourrait qualifier d'hybride par le travail de son et d’effet que je mets en place avec l’équipe son qui travaille sur le projet. C’est un set court d’une demi-heure, que je joue au milieu du public, dans une scénographie singulière, pour un format peu habituel.

C’est à la fois très brut et très choisi. Le biniou (la cornemuse typique de Bretagne, différente de sa grande soeur la cornemuse écossaise) occupe donc une place centrale, mais de par l’usage que j’en fais, ce n’est pas le propos. Je ne l’utilise pas pour jouer de la musique dite traditionnelle, mais plutôt de la musique minimale, répétitive, qui emprunte plus dans sa construction à la musique électronique minimale ou encore à la musique contemporaine. La musique a d’ailleurs été écrite avec le sonneur Erwan Keravec.

Je recherche quelque chose entre l’hypnose et la transe, la perte de repères chez le public. Je cherche à créer mon propre rituel, à incarner physiquement la musique, pour dépasser l’exotisme de l’instrument et partager ce son avec le plus grand nombre de spectateur·ices. 
 

Peux-tu revenir sur l'origine du projet ? 
À quelle étape en êtes-vous aujourd'hui ?


J’étais un sonneur qui avait oublié de sonner pendant près de 18 ans. En 2019, après la sortie de Je ne veux pas être paysan, un documentaire que j'ai réalisé sur ma famille et le monde paysan, je me suis rappelé que j’étais aussi musicien, et qu’il y avait des choses que je ne pourrais dire qu’avec la musique. J’ai mis du temps à m’y remettre parce que je voulais, au regard de mon parcours artistique et professionnel, décaler ma pratique. J’ai enfin repris l’apprentissage de l’instrument en janvier 2022, auprès d’Erwan Keravec, au bénéfice d’une bourse de compagnonnage ADAMI / FAMDT. Ça a changé mon rapport au biniou. 

Très vite, Erwan m’a permis de jouer pendant plus d’un an et demi à travers toute la France, sur la tournée Anima du chorégraphe Jordi Galí, passée notamment par Rennes et les Tombées de la Nuit. En parallèle, une expérience traumatisante m’a amené à travailler un solo. J’avais besoin d'un endroit de catharsis, un endroit à moi, intime, pour exorciser, pour parler, pour crier sans avoir à utiliser les mots.

Tant qu’à faire, je voulais aussi par ce solo créer quelque chose que je pourrais jouer le plus largement possible, au delà des réseaux contemporains que je venais de rencontrer, plutôt vers les réseaux qui étaient les miens dans mes précédentes expériences professionnelles (musiques actuelles, festivals, musiques traditionnelles).

Par ailleurs j'avais été assez marqué par les premières dates d’Anima, où les spectateur·ices se bouchaient les oreilles à mon passage. Passé la vexation, je me suis rendu compte qu’il y avait un gros travail à faire pour faire ré-exister les cornemuses et en particulier le biniou et ses fréquences inhabituelles, dans le possible instrumentarium des spectateur·ices. Je me suis rendu compte que dans un premier temps, il faudrait aller plus loin que monter sur scène pour que ça fonctionne, que j’incarne l’instrument, que j’incarne mon propos, que j’incarne une poésie. C’est pour ça que j'ai décidé de jouer au centre de la fosse dans un rond lumineux, de tourner sur moi même, de jouer en costume entre jupe de derviche et kimono de guerrier, de créer un rituel qui me serait propre. Le rond comme volonté d’unir, de relier ce qui nous disperse. Au final, tenter de fabriquer une histoire qui porte de nouvelles représentations, un autre réel.

Aujourd’hui le projet est toujours en création, en développement, mais je le joue déjà pas mal. Premièrement, parce que c’est allé un peu plus vite que prévu après mon passage à la Salle de La CIté pendant les Bars en Trans (2023), deuxièmement, parce qu’il fallait que je teste auprès des publics et que ce n'est pas possible de le faire en bar ou chez les copains, vu le projet. Donc j’assume d’être déjà en tournée et encore en création. La création se terminera à l’automne (2024). J’ai encore trois résidences à venir, au Sew de Morlaix, à la Vapeur de Dijon, et à la Carène de Brest. L’idée c’est de faire des points d’étapes après avoir éprouvé le live sur quelques dates. 

La musique est là je crois maintenant, mais j’ai encore un gros boulot sur le corps et l’incarnation à faire. Je ne suis pas danseur et je ne cherche pas à le devenir, mais pour autant je vais devoir faire un travail avec un·e chorégraphe prochainement pour aller plus loin dans la maitrise du corps. C’est pour moi un gros défi que d’apprivoiser ce corps longtemps non considéré.
 

«  L’Atelier de Création offre les conditions de salle sans être réellement en salle, avec toute la technique et les conditions d’accueil qu’on va être amené à rencontrer ensuite. C’est un super équipement pour les premières résidences de mise au plateau. »

Tangui Le Cras


Qu'avez-vous travaillé précisément pendant cette résidence dans l'Atelier de Création ?

Rennes c’était ma première résidence en costume et avec éclairagiste. Les deux étaient déjà présent à la date des Bars en Trans, mais à la dernière minute, et donc avec un peu d’improvisation. Aussi les quatre jours dans l’Atelier on été super intenses mais très bénéfiques. Cette résidence a permis d’assembler totalement le puzzle. 

J’ai aussi pu préciser la partition des effets qui sont lancés par mon sonorisateur pendant le jeu. Tous les sons lives sont produits en direct et proviennent des deux micros installés sur l’instrument et des chaines d’effets qui lui sont associés. Pas de samples, pas d’ajouts extérieurs. Aussi ça demande à ce que mes intentions, comme la progression de ma musique, soient bien posées et bornées avec mon sondier. Pour finaliser, nous avons pu enregistrer une live session dans l'Atelier (à découvrir  ci-dessous).
 


 

Qu’est-ce que la mise à disposition de l'Atelier de Création et l’Antipode vous apportent sur une résidence comme celle-ci ?

Travailler en conditions réelles plateau-salle, ça devient vite le nerf de la guerre quand on est en création. Jouer dans son salon ou même en studio c’est nécessaire au début, mais arrive un moment où on ne peut plus avancer si on ne répète pas en conditions réelles de son, de salle, de lumière. L’Atelier de Création est super pour ça. Il offre les conditions de la salle sans être réellement en salle, avec toute la technique et les conditions d’accueil qu’on va être amené à rencontrer ensuite. C’est un super équipement pour les premières résidences de mise au plateau.

Un premier album est en préparation, attendu d'ici le début 2025 chez Airfono.
Craze est en tournée dans les prochains mois, à découvrir en concert :
12.04 - Rennes, Antipode, avec Lankum 
24.05 - Saint Brieuc, Bonjour Minuit
25.05 - Crozon, Club Rade passion 
29.05 - Dijon, La Vapeur
08.06 - Landeda, Horizon Festival
07.07 - Vannes, Echonova

Pour suivre Craze